Les sinuosités baroques


A partir du XVIIIème siècle, les sultans tournent leurs yeux vers l'Europe. Palais et mosquées affectent une recherche d'élégance inédite : la fontaine d'Ahmet III, le palais des Miroirs, la mosquée d'Ortaköy...

En longeant Sainte-Sophie, juste devant l'entrée de la porte du palais Topkapi, se trouve la plus célèbre fontaine d'Istanbul, l'élégante fontaine du sultan Ahmet III, construite en 1728, adaptation du style rococo alors en vogue en Europe. Protégée par une imposante ombrelle, elle était dotée d'un sébil à chaque angle, où le passant pouvait se désaltérer avec de l'eau que lui présentaient des serviteurs. Les vers gravés sur cette fontaine la comparent aux fontaines du paradis.

Le palais des Miroirs, Aynalikavak (Reflet du Peuplier), est un gracieux pavillon d'été du XVIIIème siècle. Il donne une idée de l'allure que pouvait avoir la Corne d'Or à l'ère des Tulipes (1703 - 1730), au moment de sa plus grande splendeur. Le pavillon d'Aynalikavak faisait partie, à l'origine, du palais de Tersane (palais du chantier naval), résidence d'été du sultan Ahmet III. Il doit son nom aux miroirs que les vénitiens avaient offerts au souverain. L'intérieur a été entièrement refait et  redécoré dans le style rococo par le sultan Selim III (1789 - 1807). On y voit de merveilleux plafonds peints, des meubles incrustés de nacre, une belle salle du Trône et une autre pièce somptueuse où Selim III aurait composé l'essentiel de son oeuvre musicale. Pour honorer sa mémoire, le niveau inférieur du bâtiment abrite une collection d'instruments de musique ottomans.
 
Ouvert tous les jours, sauf lundi et jeudi, de 9 h 30 à 16 h 30


Côtoyant une église et une synagogue, la mosquée d'Ortaköy, véritable bijou rococo, dessinée par l'architecte de Dolmabahçe, contraste avec les lignes élancées du pont qui enjambre gracieusement le Bosphore depuis 1973. La mosquée, construite en 1854, se mire dans les eaux du Bosphore. L'intérieur est aussi beau que l'extérieur.

Ortaköy (le village du milieu) est devenu une sorte de Montmartre stambouliote. Toutes les rues mènent vers les quais et une petite place piétonne au bord de l'eau, avec une multitude de terrasses.
 

Quelques explications
Le sébil : en Orient, l'aumône la plus belle est, dit-on, celle de l'eau. Le mot sabīl (la voie de Dieu), devenu sébil, désigne, depuis le Moyen Âge, une fontaine publique. Il désigne, en turc, ces fontaines de donations où étaient accrochées par une chaînette des petits bols pour permettre aux passants de se désaltérer, ce qui a donné dans le vocabulaire français la sébile utilisée pour mendier. Le mot turc s'attache donc plutôt à l'offre charitable mise à la disposition de ceux qui en ont besoin, à la distribution d'un bien précieux et vital, l'eau, magnifiée par une mise en scène monumentale, alors que le mot français a retenu la demande, la quête, l'obole que réclament les plus démunis pour survivre et désigne l'accessoire du mendiant, symbole de son extrême pauvreté.


ART - L'art au temps des sultans

L'image selon laquelle les premiers grands sultans étaient des sortes de barbares destructeurs, vindicatifs et fanatisés est une vue de l'esprit propagée par l'Occident. En réalité, seule la religion distinguait vraiment les souverains ottomans de leurs contemporains de la Renaissance. Mehmet II (1451 - 1481) est un passionné d'histoire et un grand amoureux de la peinture occidentale. Amis des arts, il invite à sa cour de nombreux artistes italiens, comme le peintre vénitien Gentile Bellini qui restera quinze mois à Constantinople. Ce dernier réalisera, entre autres, le portrait du sultan. Beyazit II (1482 - 1512) tentera d'attirer Léonard de Vinci  pour faire construire un pont sur la Corne d'Or. Son fils Selim Ier (1512 - 1520) renouvellera cette offre à Michel-Ange.
Le règne de Soliman le Magnifique coïncide avec l'apogée de l'art ottoman. A cette époque, Sinan, conduit l'architecture à sa perfection tandis que les ateliers d'enluminures se multiplient au sérail de Topkapi.
La plupart des souverains du XVIIème et du XVIIIème siècle passent leur vie à embellir le palais de Topkapi et à organiser des fêtes. Ils s'intéressent, généralement, à tout autre chose qu'à la politique, à l'image d'Ahmet III (1703 - 1730), grand amateur de femmes, d'oiseaux et de tulipes, dont le règne prendra le nom de "
ère des Tulipes".
Au XVIIIème siècle, faute de trouver une inspiration nouvelle sur place, on se tourne vers l'Occident et le style qui y fait fureur : le style rococo. Cette esthétique s'applique timidement dans les mosquées mais surtout dans les bâtiments publics, au palais de Topkapi, en premier lieu.

Lâle Devri - l'ère des Tulipes

On attribue à Ibrahim Pacha, grand vizir et gendre d’Ahmet III le goût pour les tulipes. Il en avait un grand parterre dans sa maison de campagne, sur la rive du Bosphore. Il fit illuminer ce parterre, ce qui impressionna le sultan qui décida d’organiser la même célébration au palais de Topkapi tous les ans, sous le nom de Lalè-Tschiraghany (illumination des tulipes) Le règne d’Ahmet III (de 1703 à 1730) qui se caractérise par une relative stabilité, est appelé “Lâle devri“, l’ère des tulipes.

Ahmet, dans le luxe effréné de la cour, menait une vie d'un raffinement extrême. Dans les jardins de Topkapi était organisée la fête annuelle des tulipes, en deux soirées consécutives, en avril. Le sultan fit planter, dans le petit jardin de la quatrième cour, des parterres de tulipes mis en valeur par des lumières placées derrière des globes de verre remplis de liquides colorés. Des esclaves dansaient et des récitals de poésie et de musique étaient prévus.

La première imprimerie fut ouverte à cette époque. Les faïences de Iznik et Kütahya reprirent du service. L'engouement pour les tulipes se traduisit dans les carreaux de céramique (çini) et les décors peints des édifices ottomans comme dans l'oeuvre des poètes et artistes de la cour. Ahmet fit  redécorer une petite pièce proche du harem : la salle des fruits d'Ahmet III. Cette salle de style baroque turc contient d'innombrables vases de fleurs avec des compositions d'oeillets de roses, d'iris, de tulipes et diverses fleurs. Des coupes de fruits, d'oranges et de fruits sont placés sur une frise calligraphiée.

La bibliothèque du sultan, placée au centre de la troisième cour, est de type classique enrichie de quelques touches propres à l'ère des Tulipes. Elle était ouverte les lundi et les mercredi. Les lecteurs pouvaient emprunter les ouvrages à condition de ne pas les sortir du palais.

Une fontaine de type rococo fut édifiée à la gloire de l'eau dans une rue proche de la Porte Impériale. Ce monument qui porte l'inscription "bois cette eau et dis une prière pour le sultan Ahmet" lança la vogue des fontaines monumentales.

Le sultan fit construire à Kagithane, un quartier d'Istanbul, un vaste palais qu'il appela Sâdâbâd (le palais du bonheur). Ce palais fut ouvert le 21 juillet 1722 et de grandes festivités furent organisées à cette occasion. Des édifices et palais privés fleurirent dans tout Istanbul. Toute la ville devint un grand jardin de tulipes : dans les boutiques, les bazars, les fenêtres des maisons, les palais privés, partout.

Il fit la promotion des oeuvres des poètes ottomans qui s'inscrivaient dans l'esprit euphorique de la période des Tulipes. La littérature créa des voies nouvelles. Elle créa un genre purement ottoman et rejeta l'influence de l'orient. Ahmet Nedim, le grand poète du Divan de l'époque, divertit le sultan et la cour.

Ahmet III fut renversé en 1730 par des officiers à la suite des défaites subies face aux Iraniens. Ainsi prit fin l'ère des Tulipes.

 

 Les tulipes et la littérature française

Louis Martin, Le langage des fleurs, 1830

Tulipe
Déclaration d’amour
“Sur les rives du Bosphore, la tulipe est l’emblème de l’inconstance ; mais elle est aussi celui du plus violent amour. Telle que la nature la fait croître aux champs de Byzance, avec ses pétales de feu et son coeur brûlé, elle va dire malgré les grilles et les verroux, à la beauté captive, qu’un amant soupire pour elle ; et que, si elle daigne se montrer un moment, sa vue mettra son visage en feu et son coeur en charbon. Ainsi, un jeune homme naïf, sortant des mains de la nature, présente un hommage sans fard : bientôt, façonné par le monde, comme la tulipe par les mains du jardinier, il sera plus aimable, plus enjoué, il saura plaire, il aura cessé d’aimer.
La tulipe, sous le nom de tulipan ou de turban, coiffe le front superbe de ces Turcs barbares, qui adorent sa fleur et font porter des fers à la beauté. Idolâtres de sa tige élégante, et du beau vase qui la couronne, ils ne peuvent se lasser d’admirer des panaches d’or, d’argent, de pourpre, de lilas, de violet, de rouge foncé, de rose tendre, de jaune, de brune, de blanc, et de tant d’autres nuances, qui se jouent, se marient, se rejoignent, se séparent sur ses riches pétales sans jamais s’y confondre.
Dès les premiers jours du printemps, on célèbre, dans le sérail du grand-seigneur, la fête des tulipes. On dresse des échafauds, on prépare de longues galeries, on y place des gradins en amphithéâtre, on les recouvre des plus riches tapis, et bientôt ils sont chargés d’un nombre infini de vases de cristal, couronnés des plus belles tulipes du monde. Le soir venu, tout s’illumine ; les bougies répandent les odeurs les plus exquises, des lampions de couleurs brillent de tous les côtés comme des guirlandes d’opales, d’émeraudes, de saphirs, de diamants et de rubis ; une quantité prodigieuse d’oiseaux renfermés dans des cages d’or, tous éveillés par ce spectacle, confondent leur ramage avec les mélodieux accords des instruments que touchent d’invisibles musiciens ; une pluie d’eau de rose rafraîchit les airs : les portes s’ouvrent, et les jeunes odalisques viennent mêler l’éclat de leurs charmes et de leur parure à celui de cette fête enchantée".

 
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