Les derviches tourneurs sont des religieux musulmans. Leur nom a pour origine le mot persan darwich qui signifie "pauvre". Fondé par le poète mystique Mevlâna, au XIIIème siècle, l'ordre soufi des mevlevi, appelé communément "derviches tourneurs", n'est présent aujourd'hui que dans deux villes : Konya et Istanbul. Il reste encore plusieurs tekke (couvents) en activité.


Mevlâna Celâlledin Roumî


Le grand philosophe de la mystique islamique, dont le nom s'identifie à la ville de Konya, de son vrai nom Muhammed Celâleddin, mais plus connu sous le nom de Mevlâna Celâleddin Roumî, est né en 1201 ou, selon certaines sources, en 1207, à Balkh dans le Horassan, région située entre les frontières actuelles du Pakistan et de l'Afghanistan.
Le père deMevlâna - miniature du XVIème siècle Mevlâna était un théologien et maître soufi de grande réputation, connu sous le nom de "Sultan-ül Ulema", le Sultan des Erudits ou le Sultan des Savants. Devant les incursions des mongols qui bouleversaient la vie et l'harmonie de la région, toute la famille dut quitter Balkh, en 1219 (ou 1220). Après être passés par Damas, ils arrivèrent et s'installèrent à Larende (actuellement Karaman), non loin de Konya, capitale des Seldjoukides du Sultanat de Roum (anciens territoires romains, c'est à dire byzantins, en Anatolie), d'où son surnom de "Roumi" (Romain, Byzantin, Anatolien). Au bout de sept ans, sur l'invitation du sultan seldjoukide Alâeddin Kaykobat Ier, la famille s'installa définitivement à Konya qui devient le foyer de la science et de la philosophie le plus important de toute l'Anatolie. Le Sultan des Savants y créa son école et forma de nombreux disciples. Au cours de ces longues années passées auprès de son père, Mevlâna Celâleddin reçut un parfaite instruction. Des rencontres avec de grands savants et philosophes lui permirent de s'enrichir, lors de voyages dans les couvents ou medresse (école de théologie coranique) où il s'installait.

A la mort de son père, il le remplaça. Il enseigna et instruisit les disciples. Les éléments fondamentaux de la doctrine de Mevlâna sont l'amour du prochain et la tolérance illimitée, et l'on peut dire qu'il se voua à prêcher la connaissance de ces deux nouvelles conceptions. Il devint un illustre savant dont la réputation dépassa les frontières et sa doctrine s'étendit dans tout le monde islamique. Des disciples vinrent de pays Miniature du XVIème sièclelointains pour suivre ses cours. C'est à cette époque qu'il gagna son surnom de "Mevlâna" (notre divin seigneur).

En 1244, un évènement important bouleversera sa vie : sa rencontre avec le derviche Muhammed Semsettin de Trebiz (Iran). Sems (en abrégé), humble derviche à la personnalité monumentale, représentait l'abnégation de soi et le sacrifice. Il influença Mevlâna à un tel point qu'ils s'enfermèrent dans une cellule de couvent et firent ensemble une retraite de méditation de 40 jours. Mevlâna avait trouvé, dans la foi divine de Sems (qui veut dire "soleil" en persan), la lumière qui l'amenait vers Dieu.

Après la disparition de son ami, Mevlâna s'enferma dans sa cellule et, dans cette atmosphère nostalgique, s'adonna à la poésie et à la méditation. Il pensait, dansait en pivotant sur lui-même. Ainsi naissait le "semâ", cette danse que les derviches tourneurs interprètent encore aujourd'hui. Il se mit à écrire une oeuvre magistrale faite de recueils poétiques, le Mesnevi. Ecrite en langue persane, cette oeuvre est emprunte de philosophie soufi. Il écrivit également de nombreux poèmes où il prône l'amour divin et la tolérance. Selon lui, la poésie, la musique et la danse participent à l'élévation vers Dieu.

Après sa mort, en 1273, son fils Veled organisera ses disciples en confrérie de derviches, ou Ordre Mevlévi.


Le "Semâ"


Depuis la création de l'humanité, la danse et la musique sont les éléments inséparables des cérémonies religieuses. Il n'est pas du tout étonnant que Mevlâna, qui possédait une richesse spirituelle extraordinaire, ait guidé son extase vers Dieu par la musique et la danse.

La première danse du "semâ" a été exécutée à Bagdad, capitale de l'Etat Abbasside, 200 ans avant la naissance de Mevlâna. Toutefois, elle était dépourvue de toute spiritualité. Elle ne gagna son caractère de cérémonie religieuse et son esprit d'élévation de l'âme qu'avec l'Ordre Mevlévi. A l'époque de Mevlâna, il existait très peu d'instruments de musique et le "semâ" était joué par l'improvisation. Plus tard, on créa des ensembles formés d'instruments spéciaux pour ce type de musique ; on composa des mélodies uniquement pour cette cérémonie. Elles étaient interprétées par un grand nombre de musiciens. On a utilisé beaucoup d'instruments dans cette musique mais le "ney", une sorte de longue flûte, y tenait une place particulière. Les instruments les plus utilisés sont le "tef", petit tambourin à cymbales, le "kudüm", petit tambour, des instruments à cordes au manche plus ou moins long, comme le "kemençe", l'ancêtre du violon, et diverses sortes de guitares, comme le "ud" et le "rebap".

Le postulant à l'Ordre Mevlévi, après la période de noviciat de 18 jours, commençait à s'initier à la danse du "semâ" et passait son temps à s'exercer pendant des heures. Pour lui apprendre à conserver l'axe et faire la rotation sur lui-même sans se déplacer, on plantait un clou dans le plancher ; l'apprenti "semâzen" (derviche tourneur) plaçait ses orteils entre le clou et tentait de pivoter. Dans un coin de la salle réservée à cette danse (semâhane), on posait une peau de mouton ou un tapis rouge qui marquait la place où s'asseyait le Doyen.  Les spectateurs se tenaient sur les côtés devant deux rangées de bougies allumées.
Début de la cérémonie du "Semâ"   Les robes blanches Les derviches commencent à tourner
Après le diner et la prière, les derviches, pieds nus, alignés sur une seule ligne, les mains croisés sur les épaules, dressés sur la pointe des pieds, la tête légèrement inclinée sur la droite, restaient sans bouger. Ensuite, les derviches âgés et les Pères prenaient place et, en dernier lieu, le Doyen arrivait. Il s'inclinait pour saluer les derviches tourneurs qui lui rendaient son salut. Puis, ils s'asseyaient par terre, tous ensemble et se prosternaient pour baiser le sol. A ce moment, un Père récitait quelques versets du Coran accompagnés du son plaintif de la flûte qui s'élevait au fur et à mesure, puis un autre Père entamait une litanie à la louange du Prophète. A la fin, le Doyen et les derviches tourneurs baisaient encore une fois le sol et se relevaient. Les danseurs faisaient trois fois le tour de la salle, s'arrêtant chaque fois qu'ils passaient devant le Doyen. Ensuite, ils retiraient le manteau noir qui cachait leur robe blanche. A tour de rôle, ils passaient devant le Doyen. Ils lui baisaient la main en demandant l'autorisation de danser, puis ils se plaçaient en cercle, étendaient les bras pour se mettre à pivoter, la main droite ouverte, la paume tournée vers le ciel, la paume gauche tournée vers le sol, la tête légèrement penchée sur l'épaule gauche. La cérémonie du "semâ" s'achevait sur une prière en commun ; on buvait des rafraîchissements, on mangeait des fruits et on attendait l'apaisement des émotions ressenties au cours de la ronde.
"Semâ" à Galata Mevlevihane Symbolisation du pont entre les hommes et Dieu
Le "semâ" est en soi-même tout un symbole. Le Doyen représente le soleil qui éclaire l'univers ; les derviches tourneurs sont les astres qui gravitent autour du soleil dont ils captent la lumière. Le manteau noir des Pères illustre la mort,  la robe blanche des danseurs, le ciel, l'univers divin et le monde des âmes. La main du danseur, tendue vers le ciel et l'autre vers le sol, signifie qu'ils sont un pont entre les hommes et Dieu.

Jusqu'à la fin de l'empire Ottoman, les cérémonies du "semâ" se déroulaient les jours saints, au nombre de cinq, au cours desquels les musulmans priaient toute la nuit. D'autres soirées de "semâ", étaient organisées, plus particulièrement les vendredis.

Avec l'instauration de l'Etat laïque, an 1924, les sectes et confréries religieuses ont été interdites. Les danses rituelles avaient disparues. Aujourd'hui, à Konya, ces cérémonies se déroulent chaque année, le 17 décembre, jour de l'anniversaire de la mort de Mevlâna. Depuis les années 1950, il règne à Istanbul une certaine tolérance et plusieurs tekke sont en activité. Certains acceptent les visiteurs, d'autres sont strictement réservés aux membres de la congrégation.

 

La Loge mevlevi de Galata


En haut de la pente qui mène de la Tour de Galata, à Beyoglu, se trouve la Loge des derviches tourneurs, exactement sur Galip Dede Caddesi. Cette rue pavée, connue pour ses boutiques d'instruments de musique, porte le nom du cheikh qui fut à la tête de la Loge de Galata sous le règne du sultan Selim III (1789-1808), lui-même derviche. Ce monument historique est blotti loin du tumulte de la ville dans une cour arborée, près de l'arche de pierre qui démarque l'entrée de la loge.

Galata Mevlevihane est la première loge mevlevi établie à Istanbul. Cependant le bâtiment que l'on voit actuellement date de beaucoup plus tard.  La seule construction d'origine existant encore aujourd'hui est la fontaine de la cour (1649). La loge fut restaurée au temps du cheikh Galip. Le plus important cheikh mevlevi du 18ème siècle Kudrettullah Dede fut ”l'inspirateur” de la loge actuelle, de la fontaine publique, de la bibliothèque et de la tombe incluse dans la façade donnant sur l'avenue Galip Dede, toutes construites pendant les 53 ans de sa tutelle. Détruite par le feu en 1824 la loge fut reconstruite par décret du sultan Mahmut II et c'est sa fille, la sultane Adile, qui fit donation à la loge de la fontaine d'ablutions et de la massive citerne.

Aujourd'hui le bâtiment abrite le Musée de littérature ottomane classique et une collection d'instruments de musique. Des cérémonies de "semâ" y sont présentées au public, tous les dimanches. Des œuvres de qualité sont jouées par des musiciens turcs. Cette musique par la différence de sa modalité peut paraître étrange à des oreilles non initiées. Mais ne manquez pas de venir au moins une fois à cette cérémonie, vous en apprécierez la simplicité et la sérénité qui en émane.

Galata Mevlevihanesi (Divan Edebiyati Müzesi)
Galip Dede Caddesi 15, Tünel
Galata


Mevlâna Cellâdin Roumi est un être sacré, une lumière divine et un soleil dont le plus important message est l'amour et la solidarité. Les idées et principes philosophiques islamistes sont compris dans le triangle de l'âme, l'intelligence et l'amour. Mevlâna est le symbole de l'amour, la paix, la tolérance.

"Viens, viens, viens... qui que tu sois, viens !
Viens aussi que tu sois infidèle, idolâtre ou païen,
Notre couvent n'est pas un lieu de désespoir,
Même si cent fois tu es revenu sur ton serment, viens !"


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