De Byzance à Istanbul


De Constantin à Atatürk


Si la splendeur des sites et monuments de cette ville est une inestimable source d'émerveillement, il faut aussi décrypter l'histoire pour capter toute l'émotion qui s'en dégage. Nous sommes ici sur l'un des sites de l'histoire universelle. Pendant plus de mille ans, cette ville fut le centre du monde, capitale succédant à la  Rome antique plongée dans l'oubli, avant que ne s'éveille l'Europe occidentale.

C'est au VIIème siècle avant J.C. qu'une troupe de marins venus de Mégare, près d'Athènes, ayant à sa tête Byzas, vint s'installer sur la pointe occupée aujourd'hui par le sérail de Topkapi. Ce promontoir aride jouissait d'une situation exceptionnelle à l'entrée sud du détroit du Bosphore, baignée au sud par la mer de Marmara, au nord par l'estuaire de la Corne d'Or. En face, pourtant, sur la rive asiatique, d'autres habitants de Mégare avaient déjà fondé Chalcédoine, devenue aujourd'hui Kadiköy.

L'Empire romain d'Orient
En 306, l'empereur Constantin est sacré empereur. Il adopte le christianisme en 312 et fonde à Byzance la future Constantinople. Il transforme la ville qui devient capitale de l'Empire romain et est appelée la  "Nouvelle Rome". Cette cité de 500 000 habitants est rapidement baptisée Constantinople, du nom de son fondateur.

L'Empire byzantin
L'Empire byzantin a commencé le jour où Byzance a été baptisée Constantinople. Ainsi, le nom ancien de la capitale devenait l'identité d'une nouvelle civilisation. Deux siècles plus tard, sous l'empereur Justinien, la capitale resplendit. Les grands travaux sont entrepris : Sainte-Sophie, les remparts, agrandissement de l'Hippodrome.
L'Empire byzantin, qui va durer mille ans, est alors la première puissance mondiale et joue un rôle politico-militaire, civilisateur et religieux. Constantinople, Antioche et Alexandrie deviennent le centre de gravité du monde civilisé. Constantinople est la ville la plus prestigieuse, la grandiose cité de la chrétienté et le plus important marché de l'Occident.

L'Empire ottoman
Les Turcs ottomans réussissent à s'emparer de la ville en 1453 et celle-ci devient le centre de l'empire. Le règne de Soliman le Magnifique marque l'apogée de l'empire, considérablement agrandi, puisqu'il s'étend des portes de Vienne à la Perse.
La Méditerranée devient un lac turc et Istanbul jouit d'un rayonnement considérable. Le sultan Soliman attire de nombreux artistes pour faire de sa capitale la plus belle et la plus riche de l'époque. Au milieu du XVIème siècle, la ville compte 600 000 habitants.

Constantinople au XIXème siècle

Puis, à l'éclat de l'ère ottomane, succédèrent la décadence et l'amolissement. Au XIXème siècle, avec le capitalisme naissant, l'Europe impose sa puissance. On commence à considérer Constantinople comme une destination exotique ; tous les fantasmes de l'orientalisme y trouvent refuge. Les écrivains voyageurs, comme Lamartine, Chateaubriand, Flaubert, Nerval, Gautier se bousculent à l'entrée de la Corne d'Or qui aura son chantre avec Pierre Loti.
La ville devient pseudo-orientale avec son quartier européen. Les Français, les Anglais, les Russes, tout le monde s'y précipite. La capitale d'empire se mue en ville cosmopolite. On négocie, on marchande ; des territoires sont distribués aux uns et aux autres. Les Français s'occuperont de l'Afrique du Nord, les Anglais s'installeront en Egypte, les Russes convoitent la Mer Noire et le Bosphore. La situation arrange tout le monde et les Turcs sont les grands oubliés, plus personne ne s'en soucie.
Cependant, cela va permettre à la Turquie de ressusciter. L'Empire ottoman se jette dans le conflit de la Première Guerre mondiale. Une des conséquences sera la chute de l'empire mais ce sera aussi la naissance de la Turquie moderne avec Mustafa Kemal, surnommé "Atatürk", le père des Turcs.

La République
Mustapha Kemal entreprend de relever son pays. Il est un de ces hommes qui ont écrit l'Histoire, un des plus grands personnages de la Turquie, un visionnaire de génie. Il a su imposer une restructuration fonda
mentale, arrachant la nation à ses rêves ottomans pour la projeter en plein XXème siècle. Pour moderniser la Turquie, il enchaîne une série de réformes : la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'abolition de la polygamie, l'instauration du mariage civil, la suppression des ordres religieux, l'interdiction du port du fez, l'institution d'un nouveau code civil, commercial et pénal, l'obligation de prendre un nom de famille, l'introduction de l'alphabet latin, l'abandon de l'écriture arabe, l'égalité des hommes et des femmes, le droit de vote pour les femmes (11 ans avant la France).

Atatürk a su lever une véritable croisade pour le modernisme et il est aujourd'hui vénéré comme un dieu. L'oeuvre du "père de la Turquie" est immense, qui visa à moderniser et laïciser la nation en bouleversant totalement ses institutions, ses structures et la mentalité de la population.

Istanbul n'eut pas le privilège d'être la nouvelle capitale. Ankara lui ravit ce rôle.
 
 
Mustafa Kemal Atatürk
 
L'enfant naît le 19 mai 1881 à Salonique dans un monde où la loi et l'ordre s'effondrent rapidement. Sa mère veut qu'il fréquente une école religieuse, contrairement à son père qui est un progressiste et un libéral. Cependant, Zübeydé l'emporte et il est inscrit à l'école coranique. C'est là que vont être plantées les premières graines d'une aversion pour la religion en général, et  l'islam en particulier, qui durera toute sa vie. Devant les confrontations avec son maître, son père l'inscrit dans un établissement moderne et libéral. Il rêve d'aller à l'école secondaire militaire. Le père d'un ami va l'aider à passer l'examen d'entrée à l'insu de sa mère devenue veuve. A douze ans, il se révèle un mathématicien étonnant. Son professeur, qui se prénomme aussi Mustafa lui confie des cours. Pour le différencier de lui, il  lui donne un nouveau nom, qu'il portera toute sa vie, "Kemal", la Perfection. Il a un ami macédonien, fou de philosophie française. Il a honte de son mauvais français et il sait que cette langue est la clé de la civilisation européenne. Il l'étudie donc, pendant ses loisirs, dans un cours prodigué par des dominicains français.

Il entre à l'école de guerre d'Istanbul. La vie y est très dure. La religion musulmane est strictement respectée. Avec un ami, ils fréquentent le secteur chrétien d'Istanbul. Il continue de lire les oeuvres des grands penseurs français et commence à juger qu'il faut faire quelque chose pour sauver la Turquie des étrangers et d'elle même. Avec quelques amis, comme le font les jeunes hommes, il parle de révolution. Après avoir passé quelques temps en prison où il prend plaisir à lire et à écrire de la poésie, il est envoyé à Beyrouth. De plus en plus décidé à amorcer la révolution, il s'enfuit à Salonique où il organise un branche macédonienne de sa société secrète qui s'appelle Patrie et Liberté. C'est là que l'idée d'un Etat turc, aux frontières sûres, va naître. Un jour, Mustafa Kemal déclarera "heureux celui qui se dit turc".

Il décide de suivre ses propres préceptes et quitte la politique. Il sera soldat tout court. Le destin intervient sous la forme des puissances impériales occidentales, plus sûres d'elles et leur avenir, que jamais. Nous sommes en 1911 et l'Empire ottoman se lance dans sa grande guerre.
Nommé à Sofia, en 1913, il découvre avec ravissement, cette capitale européenne. Il apprend à devenir européen. Il visite la Bulgarie pour voir comment vivent les minorités turques et découvre avec satisfaction qu'elles font des affaires, dirigent des industries, s'enrichissent de leur travail, envoient leurs enfants dans des écoles où ils suivent des programmes adaptés et ne récitent pas seulement le Coran en arabe. Les femmes ne sont pas voilées. Il a une idée de plus en plus claire de ce qu'il veut pour la Turquie.

Il est rappelé pour commander la 19ème division et part pour Maydos, sur la presqu'île de Gallipoli. Il s'en suit la sanglante bataille des Dardanelles.
L'Empire Ottoman, au prix de 253 000 victimes, parviendra à protéger les Détroits, passage éminemment stratégique. Pendant la bataille, Mustafa Kemal déclare à ses hommes : "je ne vous ordonne pas de combattre, mais de mourir". Sans Mustafa Kemal, les Ottomans auraient très vraisembablement perdu cette campagne. Suite à son action dans la bataille des Dardanelles, Mustafa Kemal est considéré comme un héros dans tout l'Empire.

Il est élu à la présidence de l’Assemblée nationale à deux reprises, le 24 avril 1920 et le 13 août 1923.  Il s’agissait alors d'une charge cumulant les fonctions de chef d’État et de gouvernement. Lorsque la République est proclamée le 29 octobre 1923, Atatürk en est élu le premier président pour quatre ans, conformément à la constitution. Pour bien marquer la rupture avec l'époque ottomane, il élève Ankara au rang de capitale. La République turque va se construire autour de principes inspirés de la Révolution française. L'unité de la République, la sécularisation, mais aussi l'occidentalisation et la modernisation du pays. En effet, le régime kémaliste au lendemain de la chute de l’Empire ottoman veut recréer une nouvelle identité nationale, étatiste et laïque sur le modèle rigoureusement suivi en tout point de la république française. Pour ce faire, Mustafa Kemal doit abattre les dernières institutions de l'ancien Empire ottoman. Une de ses premières mesures radicales sera de décréter la suppression des caractères arabes au profit de l'alphabet latin.

Il s'éteint le 10 novembre 1938 à 9 h 05, dans le palais de Dolmabahçe à Istanbul. Ses derniers mots sont "au revoir" avant de plonger dans un profond coma. Il est enterré au musée ethnographique d'Ankara le 21 novembre 1938. Les chefs d'État du monde entier viendront présenter leurs hommages au cours de ses funérailles.


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